ChatGPT Agent, la nouvelle fonctionnalité d’OpenAI qui permet au chatbot d’exécuter des tâches en ligne à votre place, fait beaucoup parler d’elle – notamment parce qu’elle est disponible en Europe, mais pas dans sa version complète. Tour d’horizon des raisons (juridiques, techniques, stratégiques) de ce blocage temporaire, des pays concernés, du plan de route d’OpenAI et des solutions en attendant son déploiement. « Jurisdictions requiring extra review » : c’est en ces termes qu’OpenAI évoque les contraintes en Europe. Décryptage.
🔍 Qu’est-ce que le mode ChatGPT Agent ?
ChatGPT Agent est un mode d’action autonome de ChatGPT, lancé en juillet 2025 ( voir notre article : Pourquoi les nouveaux agents ChatGPT changent la donne) , qui permet au chatbot d’utiliser son « propre ordinateur virtuel » pour accomplir des tâches complexes de bout en bout. Concrètement, l’Agent peut naviguer sur le web, cliquer, saisir du texte, remplir des formulaires, exécuter du code, éditer des documents ou tableurs, et générer des rapports ou des présentations – le tout à partir d’une simple instruction en langage naturel. Par exemple, vous pouvez lui demander d’« analyser mon agenda et me résumer mes prochains rendez-vous clients en fonction des actualités récentes » ou de « planifier un voyage et réserver les billets ». ChatGPT bascule alors en mode Agent : il explore les sites pertinents, vous demande de vous connecter si nécessaire, récolte l’information, effectue des actions (achats, réservations…) avec votre validation, et livre un résultat structuré avec sources à l’appui. Cette évolution s’appuie sur les prototypes précédents d’OpenAI (l’agent web Operator et le mode Deep Research), en combinant leurs points forts dans un outil unifié. En somme, ChatGPT Agent vise à automatiser les tâches en ligne à votre place, tout en vous gardant « aux commandes » (l’agent demande confirmation avant toute action importante, et vous pouvez l’interrompre à tout moment). Mais vous voyez en direct l’agent agir sur votre ordi !
🌍 Un déploiement incomplet en Europe (UE/EEE/Suisse)
Dès son lancement, OpenAI a précisé que ChatGPT Agent ne serait pas « complet » en Europe dans l’immédiat. Plus précisément, « cette fonctionnalité n’est pas encore disponible en Suisse ni dans l’Espace Économique Européen (EEE) ». L’Agent est déployé pour les abonnés ChatGPT Plus, Pro et Team dans tous les autres pays pris en charge, mais la quasi-totalité du continent européen est exclue pour l’instant, même si vous pouvez y acceder. Cela concerne les 27 pays de l’Union européenne (via l’EEE, qui inclut aussi la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein) ainsi que la Suisse.
Qu’en est-il du Royaume-Uni ? Ce pays, hors UE et non membre de l’EEE, n’est pas visé par le blocage : les utilisateurs britanniques ont pu accéder à ChatGPT Agent dès son lancement.
⚖️ Réglementation et données : les raisons du blocage
OpenAI n’a pas donné de justification détaillée publique pour cette indisponibilité régionale, mais tout indique que la cause principale est d’ordre réglementaire et lié à la protection des données. Plusieurs éléments le confirment :
- Prudence face aux lois européennes (RGPD, DSA, AI Act) : OpenAI a souvent décalé le lancement de nouvelles fonctionnalités en Europe pour des raisons de conformité réglementaire. Par exemple, le mode « Mémoire » de ChatGPT ou la fonction vocale Advanced Voice ont été retardés le temps de s’aligner sur les exigences locales. OpenAI reste discret officiellement, mais « la logique voudrait qu’il s’agisse d’un excès de prudence en réaction au RGPD ou au DSA » analyse Numerama à propos du blocage de Voice. De même, Sam Altman (CEO d’OpenAI) a reconnu que certaines « juridictions nécessitent un examen externe supplémentaire » avant de déployer les nouveautés – une référence transparente aux régulations européennes. En clair, OpenAI préfère retarder l’Agent plutôt que de risquer un lancement non conforme aux lois UE.
- Protection des données personnelles (RGPD) : Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est sans doute le premier obstacle. ChatGPT Agent, de par ses capacités, traite potentiellement des données personnelles sensibles : si l’utilisateur le connecte à sa messagerie, à son agenda ou à des documents, l’IA va accéder à des emails, des fichiers privés, des coordonnées, etc. Or, en Europe, cela suppose un strict encadrement (base légale de traitement, consentement explicite, minimisation des données, durée de conservation limitée…). OpenAI a déjà eu affaire aux gardiens du RGPD : en mars 2023, l’Italie a temporairement suspendu ChatGPT pour plusieurs manquements (informations inexactes sur des personnes, absence d’information aux utilisateurs sur l’usage de leurs données, absence de base légale valide pour la collecte de données personnelles, et absence de vérification d’âge). Cette action coup de poing du régulateur italien (le Garante) a forcé OpenAI à ajuster son service (ajout d’une mention d’âge, option d’opposition à l’entraînement, rectification de fausses informations…) avant réouverture. Elle a aussi déclenché une task force européenne : plusieurs pays (Allemagne, France, Espagne…) ont ouvert des enquêtes coordonnées via le CEPD, toujours en cours. Ce contexte incite OpenAI à la plus grande prudence pour toute nouvelle fonctionnalité en Europe, surtout si celle-ci manipule des données utilisateur.
- Connecteurs et transferts de données hors-UE : ChatGPT Agent propose des connecteurs vers des services tiers (Google, Outlook, Dropbox, etc.) pour intégrer vos données privées dans ses réponses. Cela implique potentiellement des transferts de données en dehors de l’UE, vers les serveurs d’OpenAI aux États-Unis ou ailleurs. Depuis l’invalidation du Privacy Shield, ces transferts sont très encadrés. OpenAI doit assurer des garanties adéquates, ce qui pourrait nécessiter d’attendre le feu vert du nouveau cadre Trans-Atlantic Data Privacy Framework (adopté mi-2023) ou de mettre en place des centres de données en Europe. Justement, OpenAI commence à s’adapter : en février 2025, la société a introduit une option de résidence des données en Europe pour certains produits (ChatGPT Enterprise, ChatGPT Edu, API), afin d’aider les organisations européennes à garder les données localement. On peut imaginer qu’une solution similaire (hébergement des données utilisateurs au sein de l’UE) doive être prête avant d’activer ChatGPT Agent pour le grand public européen. Par ailleurs, le consentement explicite de l’utilisateur sera sans doute requis avant de laisser l’Agent accéder à ses comptes (emails, drive…) : une mécanique que OpenAI veut sans doute peaufiner en accord avec les CNIL européennes. En somme, le volet “privacy” est central : tant que OpenAI n’aura pas la certitude que ChatGPT Agent est conforme au RGPD (et aux lois nationales associées), l’accès restera bloqué dans nos contrées.
- Sécurité et “IA responsable” : au-delà des données, OpenAI évoque aussi des motifs de sûreté et de responsabilité (« safety »). Sur son forum officiel, un employé a confirmé que l’Agent n’est pas disponible dans l’UE et en Suisse en version complète « en raison de diverses lois européennes sur les données et la sécurité ». En effet, ChatGPT Agent peut exécuter des actions potentiellement à risque (remplir des formulaires, coder, naviguer sur n’importe quel site web). Les régulateurs européens pourraient exiger des garde-fous spécifiques. Par exemple, le Digital Services Act (DSA) impose depuis 2023 une vigilance accrue sur les contenus illicites et la transparence des algorithmes pour les grandes plateformes. Un agent qui automatise la navigation web doit-il respecter certaines obligations de transparence vis-à-vis des sites qu’il parcourt ? Faut-il qu’il s’identifie comme un bot lorsqu’il interagit en ligne, pour se conformer aux règles anti-bot de certaines plateformes ou à d’éventuelles futures directives européennes ? Ce sont des questions qu’OpenAI examine sans doute avec ses avocats. De plus, l’AI Act pourrait classer certaines utilisations de l’Agent comme à haut risque si, par exemple, il était utilisé dans des domaines sensibles (finance, santé…). OpenAI doit alors prévoir des mécanismes de conformité (documentation technique, évaluation des risques, etc.) avant de l’autoriser en Europe. Enfin, en termes de sécurité informatique, l’Agent ajoute de nouveaux vecteurs de vulnérabilité (il peut être la cible de prompt injections malveillantes en parcourant un site, ou tomber sur des CAPTCHA qu’il ne sait pas résoudre). OpenAI pourrait estimer que le contexte européen nécessite un niveau de sûreté renforcé (par crainte, par exemple, d’une sanction si l’Agent commet un acte non autorisé en ligne). Cela contribue possiblement au délai : intégrer davantage de filtres, de restrictions de tâches (par exemple, l’Agent refuse d’effectuer des transactions financières ou des actions illégales – il est entraîné pour cela) avant de le déployer dans un environnement légal strict.
En résumé, le cadre réglementaire européen exigeant (en matière de données personnelles et de sécurité numérique) est la raison majeure pour laquelle OpenAI adopte une approche prudentielle : on ne lance pas le produit tant que les conformités juridiques ne sont pas validées. Cette attitude a certes pour effet de protéger les utilisateurs et OpenAI des risques légaux, mais elle crée un décalage technologique de plus en plus visible entre l’Europe et le reste du monde – au grand dam de nombreux professionnels et passionnés européens de l’IA.
⏱️À noter : les clients Enterprise et Education d’OpenAI (offre professionnelle) devraient, eux, recevoir l’Agent dans les prochaines semaines, ce qui inclura peut-être certaines grandes entreprises européennes sous conditions contractuelles spécifiques. OpenAI pourrait en profiter pour tester l’Agent en environnement contrôlé avec ces clients pros en Europe, avant de l’ouvrir au grand public européen.
🎯 À suivre – l’Europe, terre de défi pour l’IA
Le retard de ChatGPT Agent en Europe souligne le délicat équilibre entre innovation rapide et régulation stricte. D’un côté, les editeurs déploient à marche forcée des fonctionnalités révolutionnaires, de l’autre, l’Europe érige un cadre légal pour s’assurer que ces IA respectent nos valeurs et nos droits. Il rique d’en résulter une fracture géographique.
La bonne nouvelle, c’est que ce retard n’est que temporaire – du moins à en croire OpenAI. L’entreprise affirme son intention de se conformer aux règles européennes et de rendre ses outils disponibles partout où c’est possible. Des chantiers sont en cours (certifications, hébergement des données UE, modifications produit) pour “débloquer” l’Agent dans nos pays.
À suivre… OpenAI pourrait bien choisir l’Europe comme prochain terrain de déploiement une fois le feu vert obtenu – Sam Altman a d’ailleurs évoqué l’idée d’un siège européen d’OpenAI et multiplié les déclarations d’amour envers l’Europe.
Preuve que le régulation peut exister, pour notre securité et notre indépendance. Ce n’est qu’une question de temps, de coopération et de conformité. ⏳🤝
#OpenAI #ChatGPTAgent #Europe #RGPD #IA #RégulationAI #Innovation